Après 11 ans de vie commune, l’éco-village du Hameau des Buis et la Ferme des Enfants décident de se séparer
C’est en 2003 que Sophie Rabhi eut l’idée d’un éco-village pour des personnes retraitées, qui soutiendrait financièrement une école déjà existante sur le domaine familial.
C’était un projet intergénérationnel, associatif, basé sur l’humain et l’enfant, dont l’aspect relationnel devait être la clef de voûte. Une école Montessori, portée par l’association la Ferme des Enfants (FdE) en constituait le centre et la raison d’être ; le hameau viendrait compléter la structure, inaugurant la possibilité d’une vie commune sur des bases écologiques.
Séduits par le projet, les futurs résidants, membres de fait de la FdE, s’engagent convaincus et confiants dans cette aventure.
Une société civile (la S.C. le Hameau des Buis) est créée entre la FdE et les futurs résidants, qui apportent les fonds à hauteur de 99,8 % du capital total investi, la FdE y abondant pour les 0,2 % restants.
Le chantier de construction démarre en 2006, sur le mode participatif, avec le concours de nombreux bénévoles qui apporteront leur aide sans faille, encadrés par une douzaine de professionnels, sous la gérance de Laurent Bouquet, le mari de Sophie Rabhi.
De 2006 à 2011, les membres de la FdE et les futurs résidants s’évertuent à co-créer, lors des réunions « plénières » ce que seront la réalisation et l’organisation du hameau en gestation.
En 2008, pour éviter toute possible spéculation, les parts sociales des résidants dans la S.C. sont converties en prêts, conférant ipso facto une majorité souveraineà la FdE qui devient seule décisionnaire de fait, une part étant attribuée à la société MVF pour son apport complémentaire en prêt financier.
L’Association du Hameau des Buis (AHdB), incluant les résidants et les autres habitants du lieu, est créée en 2009, et acquiert une part sociale de la S.C., avec le désir affirmé de prendre ses responsabilités dans la gestion et l’entretien du lieu.
Les emménagements se font courant 2011. Mais dès 2012, les premières tensions apparaissent entre les initiateurs du projet et les habitants, révélant un décalage avec la vision associative du projet, qui ne reflète pas le fonctionnement démocratique légitimement attendu.
Un turn over important et récurrent tant au sein de l’équipe pédagogique qu’au CA de la FdE, provoque le départ de nombreux enseignants et habitants, tandis que la gouvernance partagée espérée se mue en une gérance qui se révèle de fait soumise à la houlette de la FdE, et les réunions peu à peu stériles.
Constatant les faits, le CA de la FdE adresse en janvier 2018 une LR/AR à la Directrice de l’école, lui demandant la mise en conformité de son fonctionnement avec la loi et le code du travail, ce qui sera nié autant que refusé. Dès lors, comprenant qu’une adhésion inconditionnelle nous est demandée, se concrétise l’idée d’une séparation entre la FdE et les habitants.
Devant la nécessité de devoir emprunter pour rembourser nos partenaires financiers, et un risque conséquent de redressement administratif concernant l’école, l’AHdB demande pour sa sécurité l’obtention d’une majorité des parts sociales de la S.C., vu les investissements des résidants, et prenant en compte que ce sont eux seuls qui assument le remboursement des dettes de la S.C. via leurs loyers.
S’ensuit une âpre discussion sur le sujet, qui verra s’effacer toute notre confiance en les initiateurs.
Un bail de droit commun est toutefois consenti pour sécuriser l’école, et une majorité des parts sociales de la S.C. est officiellement cédée à l’AHdB, qui reprend la gérance en vertu d’un accord acté en 2014.
Simultanément, en 2018, une crise interne éclate dans l’école, avec un départ massif d’enseignants, ce qui sera mis au compte d’intentions malveillantes attribuées à des habitants portés par les passions classiques du « vieux monde » (argent, pouvoir, domination –SIC), tandis que la FdE se voit assignée aux Prud’Hommes par trois de ses employés.
Dans ce contexte malsain, nous apprenons, avec sept mois de retard, qu’un avenant au bail de le FdE a été rédigé en catimini par nos initiateurs, modifiant abusivement ses termes au bénéfice exclusif de la FdE.
En tant que nouveaux gérants, nous leur adressons une demande de rencontre pour re-négocier le bail initial, mais cette demande essuiera un refus catégorique, assorti d’une menace de procédure juridique visant à récupérer les parts sociales cédées, sauf à accorder à la FdE un bail emphytéotique (pour un montant dérisoire) sur l’ensemble du territoire (sauf les maisons des résidants) !
Dans la foulée, la S.C. et l’AHdB gérante reçoivent une assignation par voie d’huissier, remettant en cause la cession des parts sociales, à cause d’un prétendu vice de forme lors de l’AG de cession.
Face à la posture agressive de la FdE, nous n’avons d’autre solution que de dénoncer son bail, dans l’espoir de pouvoir ouvrir une négociation équitable.
À partir de ce moment, et toujours sans réponse à notre demande, nous faisons signifier à la FdE la validité de la dénonciation en cours, stipulant que sans la réponse attendue, la clause de résiliation qui est inscrite dans le bail prendrait effet automatiquement.
La FdE maintiendra cependant ses activités sur les lieux au-delà de l’expiration du préavis légal, toujours sans répondre à notre appel, prétendant jouir d’un bail professionnel reconductible de six ans.
Ne pouvant tolérer plus longtemps un tel comportement, et nonobstant la procédure en cours, nous faisons une demande en référé aux fins de procéder à une résiliation en règle.
Condamnée en première instance, la FdE fera appel, le 1er président de la cour d’appel prononcera l’exécution du jugement, réputée de droit, l’obligeant à quitter les lieux.
Un dernier échange de courriers n’apportant aucun changement notable, la FdE procède au démontage de ses installations, et un accord transactionnel est mis au point avec l’aide d’une association de consultants (les Pas-Sages) pour être signé par les parties concernées, qui l’acceptent.
Ce sera chose faite en octobre 2021, mettant fin à toute procédure juridique.
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La vision initiale et amplement idéalisée de Sophie Rabhi était celle d’une école alternative expérimentale (la Ferme des Enfants), comprenant comme environnement éducatif et supports pédagogiques une ferme et des habitations écologiques. L’exploitation locative de ces logements ayant pour but le financement de l’école, les habitants étaient vus comme un milieu humain intergénérationnel contribuant inconditionnellement aux activités de l’école, sous sa direction exclusive.
Telles sont les raisons qui ont engendré les conflits successifs que nous avons connus, et leur résolution finale éminemment regrettable mais somme toute prévisible.
Aujourd’hui, le Hameau des Buis œuvre à se transformer en une SAS coopérative, en définitive mieux adaptée aux valeurs que nous, habitants du Hameau des Buis, désirons incarner.
L’école ayant quitté les lieux, nous voyons le HdB comme un village en transition écologique, un endroit appartenant à ceux qui le font vivre quotidiennement, et un projet qui permettrait de vivre en collectif autogéré démocratiquement, d’inventer, d’expérimenter et de partager des pratiques éducatives, relationnelles et écologiques. Bref, un endroit ou chaque habitant ne serait pas considéré comme un moyen, mais où ses propres fins rencontreraient celles d’un projet en élaboration collective permanente, comme la vie.